Danse - festival Immersion danse - L’étoile du Nord - 10 mars au 22 avril 22

 

3ème édition du festival Immersion danse - le festival des chorégraphes émergents 

 

 

Avec « Immersion danse » pas de grand bain pour s’immerger mais un plateau celui de L’Étoile du Nord dédié à la danse durant 5 semaines. Ce temps fort offre la possibilité à 15 compagnies de présenter leur travail au public, une forme courte lors de plateaux partagés pour les novices ou plus longue pour une soirée pour les plus aguerris. Une éclaircie dans le ciel plombé de ces deux dernières années.

 

Engagement, fidélité, confiance fondent l’identité de ce lieu crée en 1979 dans le 18ème arrondissement de Paris. D’abord baptisé Théâtre 18 puis Dix-Huit Théâtre et aujourd’hui l’Étoile du Nord ce théâtre dit d’arrondissement a toujours accompagné la danse et les danseurs et a sur la durée su débusquer de futurs grands. Si la danse contemporaine s’y est imposée, la diversité des esthétiques n’en est pas pour autant bannie, et même les enfants y trouvent leur compte. Le directeur actuel, pour qui le risque n’est pas un danger, aime les découvertes et nous aussi. Leila Ka, Yohan Vallée, Anna Chirescu, Maxime Cozic, Sandrine Lecournant, Nina Vallon et les autres pour cette édition styles et expériences se mélangent sans problèmes. 

 

Leila Ka soutenue par L’Étoile du Nord et le 104 à Paris semble accrocher des étoiles à son palmarès. Figure nouvelle de ce qu’on appelle « l’émergence » son nom circule. Avec deux solos et un duo (des petites formes) elle apporte sa juvénilité et son audace sur les plateaux et séduit les programmateurs en perpétuelle recherche de jeunes talents à programmer. Si ses débuts ont été portés par le milieu hip hop, le contemporain lui a permis de développer une écriture plus personnelle même si elle dit ne se revendiquer de rien si ce n’est du mouvement. Libérer sa rage, raconter des histoires, parler de sujets qui la touchent comme la norme, la domination, le carcan, la différence, l’oppression constituent la trame de ses créations. Ces sujets tirés d’une actualité brutale trouvent leur place sur scène dans des formes d’écritures finalement assez traditionnelles et simples régénérées toutefois par les qualités de Leila Ka l’interprète.


Son solo Pode ser comme tout premier solo parle d’elle. Une robe rose en tulle, qui vole et fait penser aux tutus, un jogging en dessous et des baskets aux pieds forment le matériau de base à la dénonciation des stéréotypes sociétaux. Ce costume parle de genre, d’assignation, de rôle à jouer. Le solo témoigne de l‘envie d’oser et de dire, du besoin de se débarrasser de et de la rage que porte en elle la chorégraphe - interprète. La musique (Schubert) accompagne ce drame d’un instant traversé de nécessités. Çà fulmine sur le plateau. Se Faire la belle son deuxième solo parle aussi de l’enfermement mais de soi en soi cette fois. Dans la pénombre, les pieds solidement ancrés dans le sol, l’interprète vêtue d’une robe - tunique blanche laisse sortir ses tensions, ses retenues, ses élans brisés en mobilisant le haut du corps dans des mouvements répétitifs pulsés par la musique électro. L’énergie vitale bouillonne à l’intérieur et l'on aimerait la voir guider le corps jusqu’à la transe. Pas ou peu de bras pour Pode ser, pas de jambes pour Se faire la belle la réduction des mouvements du corps s’avère être un outil pour Leila Ka, qui donne sans doute sa force à une écriture en devenir. Pour le duo C’est toi qu’on adore l’enfermement viendra de l’espace et du temps. Lancés sur un chemin périlleux balisé de chutes et de postures à la radicalité froide, les deux interprètes féminines progressent dans un espace anguleux formant un quadrillage et dépassent les embuches avec détermination. La gestuelle est simple, le vocabulaire réduit au minimum, la coordination impeccable, l’ensemble prend vite la forme d’un exercice parfaitement réalisé ; on sent là la jeunesse artistique de la chorégraphe.

Ces premières courtes pièces révèlent un désir fort certes mais, chorégraphiquement que ce soit dans les solos ou le duo on retrouve les modes d’écriture des années 1970 : les principes de répétition, la mécanique du geste portée par le tempo, une phrase musicale en boucle utilisée comme motif pour la chorégraphie, une phrase de mouvement écrite servant de matrice à la danse, le développement de la phrase utilisant accumulations, répétitions, ornementations et décalage de temps. La précision est là, quelque chose de têtu dans la démarche aussi, au détriment parfois de la chair et de l’inattendu.

 


La soirée hip hop
est réjouissante. Les jeunes font bruisser la salle de leur enthousiasme et le théâtre accepte volontiers d’accompagner l’air de fête que ce style de danse véhicule. En première partie le solo de Maxime Cozic nous plonge dans la pénombre. Danseur formé à l’école Révolution dirigée par Anthony Égéa, Maxime affiche déjà un parcours d’interprète important (Mourad Merzouki, Fouad Boussouf Mickael Lemer …) qui donne à sa danse technicité, précision et solidité. Emprise est son premier solo créé au sein de sa propre structure la compagnie Felinae. Un espace restreint va servir de lieu d’expression au sentiment d’être complexé, thème de son solo. Pas d’envolées musicales ni de tempi effrénés mais un son sourd et sobre accompagne ce corps - matière difficile à dompter. Lumière et composition musicale enveloppent une écriture où domine le jeu des articulations et la circulation du mouvement dans le corps qui parfois dérape. Dans sa recherche autour de l’image de soi, il met en jeu à chaque instant sa virtuosité au service de la gestuelle. Belle découverte.   

Place aux filles maintenant ! Un quatuor de demoiselles au tempérament visiblement bien trempé mené par Sandrine Lescourant danse, parle, invective et nous déride avec Raw pièce pour la rue qui envahit le plateau. Elles sont libres naturelles; ça déménage, c’est du direct effronté et sympathique et ça interpelle. La qualité est là aussi bien dans la danse que le jeu théâtral et la prise de parole. Être soi ou parler de soi sur un plateau n’est pas si simple mais elles nous attrapent autant avec leur franc parler qu’avec leur franc danser.  Le public adore et adhère et une fois convié sur le plateau chacun oublie vite ses complexes.

 

Nous avions déjà vu Yohan Vallée et sa pièce Un certain printemps. Ce projet ambitieux questionne l’homme sa définition « genrée », les fils qui le relient au monde, sa place dans un tout et surtout cette question essentielle que faisons - nous du passé dans nos vies d’aujourd’hui. Ce descriptif peut sembler rébarbatif mais les qualités d’interprète de Yohan nous guident à travers ce propos philosophique. Sa danse est engagée c’est à dire que le corps est là présent et expressif, entièrement investi dans le mouvement, au service des émotions. Tout est signifiant dans ce solo à l’écriture franche qui tricote le passé et le présent. Yohan Vallée n’élude rien de la puissance ou des faiblesses de l'humain. Il s’agit de mort dans ce sacre autant que de renaissance ; ombres et lumières de nos vies s’entremêlent au service d’un destin à construire. La bande son excellente de Nicolas Rousseau ponctue ce voyage de réminiscences d’un sacre plus connu.

 

Dommage que Nina Vallon avec Le lapin et la reine ne se soit saisie de la proposition d’un travail qui mêle artiste LSF et artiste entendant avec toute la rigueur qu’on aurait pu attendre d’une telle expérience. Choisir une fable est souvent d’usage lorsque l’on pense spectacle pour enfant à partir de 3ans, encore faut - il que sur le plateau la dramaturgie soit élaborée à hauteur de l’attente et des capacités de compréhension des enfants. En 2022 ils ont accès à de nombreuses sources de connaissance et l’abstraction ne leur fait pas peur. Le déplacement de cubes sur une scène et des mimiques ne leurs font pas honneur et le thème de la différence -qui est bien souvent leur quotidien- aurait mérité d’être traité avec plus d’exigence.   

 

Quelle idée de s’intéresser aux vaches ! C’est pourtant le propos qu’Anna Chirescu a choisi pour le duo Vaca. Interprète reconnue ayant dansé pour JC Gallotta, Christine Bastin, Daniel Larrieu, Ashley Chen entre autres mais aussi pour Robert Swinston pour lequel elle a interprété le répertoire de Merce Cunningham, elle entre en chorégraphie avec toute la rigueur que son parcours impose. C’est justement d’avoir travaillé puis dansé Beach Bird de Merce Cunningham qui l’a conduite à s’intéresser aux vaches. La temporalité des oiseaux, ne pas imiter l’oiseau mais être l’oiseau, accepter le presque rien et les mouvements infimes que Cunningham a su si bien traiter, ces paradigmes lui ont servi de guide dans sa recherche sans compter l’importante documentation consultée. 

 

Dans Vaca, la vache est un tout. L’animal en premier lieu mais aussi son environnement, sa place dans la société, l’économie qu’elle engendre, la comice agricole et l’écologie. Les interprètes sont remarquables en vaches, posées là sur le plateau dans une immobilités qui laisse échapper des tressaillements musculaires hyper localisés dont la justesse révèle un travail d’observation minutieux. Elles laissent passer le temps, l’acceptation du spectateur face à cette situation incongrue n’est pas un sujet et l’on se surprend à voir la mouche que l’on éloigne d’un coup de tête ou l’insecte qui fait vibrer une parcelle de peau ; le bucolique de notre culture commune est bien réel

Puis vient le comice agricole et les danseuses se transforment en rosières équipées de jupes froncées virevoltantes, de rubans et de fleurs piquées dans les cheveux. Elles dansent ces danses villageoises si entrainantes. La vache est aussi signe de prospérité et la fête est là pour la remercier et la mettre à l’honneur. Puis vient les abattoirs, le marché aux bestiaux et ses enchères empressées, la vache folle… Cet animal porte en lui tous les symptômes du monde moderne.  Adulée, vendue, mangée, porteuse de maladies nouvelles, on les aime au champs en oubliant leur parcours jusqu’à nos assiettes.

Anna Chirescu se saisit avec habileté de ce révélateur sociétal que cet animal représente. Dansé, joué, chanté ce duo est à la fois politique et artistique. Son écriture en séquences nous tient en éveil et nous oblige à nous plonger dans une réflexion sur le rapport entre l’homme et l’animal aujourd’hui. De quelle domination la vache est - elle le jouet ? Quelle image nous renvoie – t - elle de nous ?

Du « presque rien » du pré aux aberrations consuméristes le cheminement est implacable ; les interprètes inspirées défendent sans ambiguïté l’interrogation présente sur le plateau. Différentes à la fois dans leur physique, leur présence comme dans leur interprétation un bel équilibre existe entre elles qui donne une réalité tangible à cet acte dansé.      

 Le festival Immersion offre une belle traversée de l'art de la danse....

 

 

 

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