Danse - théâtre - cirque, Jean-Baptitsie André - Dimitri Jourde, Deal, #104 Paris, 27 septembre 2021


 

 

Donner quelque chose qu’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.

Une  définition de l’amour que koltès adorait

 


Avec Deal, Dimitri Jourde et Jean Baptiste André tous les deux danseurs-circassiens s’engagent dans la recherche d’une forme qui réussirait à conjuguer leurs talents dans une relation à un texte celui de Bernard Marie Koltès « Dans la solitude des champs de coton».

En tant que spectatrice il me semblait difficile d’aborder ce spectacle sereinement lorsqu’on porte encore en soi la vibration du travail de Patrice Chéreau à la fois metteur en scène et acteurs de cette pièce à plusieurs reprises. Sa proximité avec Koltès, avec son écriture, la connaissance de ses exigences et de sa solitude ont de spectacle en spectacle façonné un imaginaire en tout cas le mien… Mais pas celui des jeunes présents autour de moi tout à la découverte de la proposition des artistes.  

Installés en quadri-frontal dans une salle de travail du 104 à Paris, on est là autour d’un carré sobrement éclairé. Lieu de drague, lieu de drogue ? Lieu du marchandage c’est sur et qui va vite prendre des allures de ring. Jean Baptiste André (le dealer) marche en suivant méthodiquement les côtés du carré. Marches, courses, arrêts, la rencontre se fait avec Dimitri Jourde (le client), brutale plutôt rugueuse. Qu’ont-ils à se dire, à échanger, à se vendre ?  

Un homme en rencontre un autre …Si vous marchez dehors, en cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir ; car si je suis à cette place depuis plus longtemps que vous, et que même cette heure qui est celle des rapports sauvages entre les hommes et les animaux ne m’en chasse pas, c’est que j’ai ce qu’il faut pour satisfaire le désir qui passe devant moi …, Toute l’ambiguïté de la relation est exposée là dans cette phrase. Ce désir non explicité va articuler l’ensemble du spectacle. Un long combat en forme de jeu de dupes et de revers de situation va animer l’espace scénique.

Le spectacle est construit en séquences, texte et  expression dansée alternent de façon presque systématique, une exégèse du rapport de force s’installe
autant dans les mots que dans les corps. Quel non dit se joue là entre ces deux personnages... L’un attaque l’autre répond, la tête de l’un se coince dans les jambes de l’autre, le bras de l’un enserre le corps de l’autre. Le dealer s’assoit sur l’acheteur ou bien l’inverse car dans ces jeux d’affrontements les rôles s’enchevêtrent. Tous ses combats font appel à une technique de danse que l’on a déjà admirée chez Dimitri Jourde dès 1999 dans S.O.Y de Franck Micheletti et qui s’est installée durablement dans son corps. Repoussés du sol, élasticité des corps, rebonds félins, marches à reculons pour mieux trouver le sol tout un vocabulaire est mis œuvre pour faire écho au discours sur l’humain et ses manques, son besoin de conquête et son désespoir. Les confrontations reviennent inlassablement ; entre eux aucun accord n’est possible. Écrites dans une gestuelle identique, suivant les mêmes principes, mais dans des qualités différentes elles en expriment la violence par les dynamiques qui les animent, les accélérations et les ruptures. Les figures du désir mènent le jeu, le sol absorbe ce trop - plein de frustrations, les protagonistes laissent vibrer l’animalité sous - jacente à cette rencontre.  
Domination, dépendance, détresse, les enjeux sont là
La douceur et la légèreté apparaissent également comme dans la chanson de Dylan par exemple, la guitare et le halo de lumière ambré…On s’effleure aussi, on ose se chahuter, marionnettes d‘un instant. Dimitri ne se refuse pas quelques clowneries. Ça bouge, ça bouge tout le temps comme bougent les êtres perturbés par le manque, perdus et apeurés.

À les suivre, on en oublie parfois le texte !

La création musicale de Jefferson Lembeye ne nous lâche pas sollicitant sans cesse nos oreilles. Les lumières de Jérémie Cusenier veillent sur nous, magnifiquement dosées elles créent l’incertitude du lieu, la difficulté à y voir clair au sens propre comme au figuré et savent mettre en valeur une mise en scène qui parfois pourrait nous lasser par l’option choisie du séquentiel et de la répétition. 

Des trouvailles de mise en scène et la justesse des corps nous font cependant redécouvrir Koltès.

 

La référence à Patrice Chéreau arrive brusquement avec les vêtements tombés des cintres et Massiv Attack et son Karma coma. La danse ravive le souvenir et l’on sourit à la phrase  Un bon vendeur tache de dire ce que l’acheteur veut entendre.  

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