DANSE - Fausse couche - Printemps de la danse arabe à l’IMA – Festival JUNE EVENTS - Atelier de Paris le 19 juin 2018
La
violence des sentiments
Lorsqu’on connait les orientations esthétiques et artistiques du festival June évent et les caractéristiques de la création chorégraphique tunisienne voir le nom de Nejib Khalfallah dans la programmation provoque un certain étonnement. Non pas que cet artiste n’ait pas sa place dans un festival de danse contemporaine mais plutôt à cause du décalage important qui risque d’exister entre sa proposition et les essais chorégraphiques qui vont être donnés pendant un mois.
June évent fait partie intégrante de la programmation du CDCN - Atelier
de Paris dont les objectifs sont d’aller chercher et d’accompagner des artistes
aux projets « personnels », souvent audacieux (que l’on aime ou pas) et dont le travail relève principalement
de la performance.
La
création chorégraphique tunisienne affiche elle aussi certains critères mais
bien différents comme : la force du
groupe dans l’écriture, le recours à l’énergie et non à la technique pour
engager le corps, la prédominance de l’expression sur le travail corporel, le
désir de dire et souvent la profusion de signes et symboles… Alors ? Le
public est là, attentif, et dès les premières images il sait qu’il doit changer
son regard pour entrer dans la danse.
Une
chaise, une robe de chambre, une cage à oiseaux, une faible lumière, deux
couples au sol…On distingue à peine la scène et les personnages mais l’on sait
que l’on est ailleurs, dans un enfermement, trace originelle de la pensée du
chorégraphe sans doute, on est peut - être face à une naissance. Ce début est séduisant et attire l’attention et lorsqu’ un danseur, Wael Marghni, traverse le plateau de cour à jardin dans
une recherche de verticalité pour ne pas dire d’équilibre, la ligne qu’il suit,
faiblement éclairée, crée immédiatement une empathie entre lui et nous. Son corps est parlant, précis et sobre dans
cette danse désarticulée à la recherche de repères. Ce mouvement instable sent
le danger ! L’émergence de
l’individu cherchant sa voie. Tout est dit dans ce moment où
l’on quitte pour aller vers de cet écart qui existe aujourd’hui en
Tunisie entre les désirs qui se sont exprimés dans un printemps luxuriant et la
réalité où vivre la tête haute est encore un combat. La pénombre souligne cet
état de latence et si la lumière qui semble filtrer à travers des moucharabiehs
peut apparaitre pour certains un éclairage « fait de gobos à
l’ancienne » elle est là le symbole d’une histoire…
Fausse couche c’est avoir tenté d’advenir, mais comment et pourquoi … La pièce parle de désarroi et utilise tous les moyens d’expressions accessibles à ses corps encore naïfs : le principe du souffle qui sonne et emplit l’espace de sons presque primitif, les chutes exécutées dans des dynamiques frôlant l’hystérie, un boucle musicale répétitive entêtante… Les regards sont chargés de violence ou perdus dans un espoir vain.
Cette pièce est pleine, trop pleine, et la surabondance de signes empêche parfois le dévoilement de l’essentiel. Les expressions du visage fortement marquées témoignent de l’âpreté de la situation mais on aimerait que cette expression soit portée par les corps et descende dans le plexus et les bras afin de faire vivre une danse encore trop fragile techniquement. Les grimaces sont justes mais les visages ne semblent pas reliés à ce qui fonde le mouvement « l’intérieur de soi » ; il ne s’agit pas de montrer mais bien de laisser voir.
Les
performances individuelles manquent d’assurance certes mais le travail de
groupe par contre est formidable. On sent ces jeunes soudés, au service de ce
qu’ils ont à dire. Questionnement et folie les traversent et si parfois la
gestuelle ou l’organisation chorégraphique nous paraissent désuètes, elles sont
là. Beaucoup d’emprunts par contre nous éloignent du plateau. Pourquoi
reprendre Maguy Marin et ses frappés de pieds de May Be, les farandoles de Pina
Bausch ou le principe du son qui accompagnent le mouvement exploité abondamment
par Daniel Linehan…Tout çà manque un peu de discernement et c’est dommage...
Énergie
non contrôlée, désirs entravés, espoirs sans réponse, pressions et violence… Marcher
vers la liberté est ardu. L’écriture chorégraphique de Nejib
Khalfallah, traversée par un rapport violent à l’espace, en témoigne.
Fausse couche - chorégraphe Nejib Khalfallah
Production :
Théâtre national tunisien
Vu
à Atelier de Paris le 19 juin à 19h30
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