Soirée de l'association des Chercheurs en Danse au CND - 24 mai 2018


Action ! Mai 68 et la danse

Parler de mai 68 à partir de témoignages, photos, articles et documents éparses et non exhaustifs c’est forcément risquer de passer à côté, survaloriser, rendre fictionnels des événements, des postures et des prises de position. L’idée qu’on se fait d’une chose n’est pas la chose elle-même et le travail de « chercheurs » ou plutôt ici de personnes intéressées à connaitre et comprendre porte en lui cette contingence.  À l’opposé des sciences dites « dures » telles les mathématiques, la biologie, la physique, cette histoire d’une époque dansée ne peut qu’être une science dite « molle » sans intention péjorative.  Se pencher sur mai 68 et le bouillonnement qu’il a provoqué est passionnant aujourd’hui dans une époque où chacun, là où il est, ne se pose plus la question des acquis et des luttes dont ils sont issus. La pensée est plutôt tournée pour certains vers le toujours plus et pour les autres vers une consommation d’acquis auxquels on accorde valeur d’éternité. Alors, redire que tout a changé en 68 pour la danse, les danseurs et les chorégraphes, et que les années 80 n’ont été que la résultante de prises de position plus anciennes est fondamental. 
 
Même si les communications restent teintées d’un nuage d’erreurs elles montrent bien que le monde en recherche de progrès, à cet instant a bougé. D’une société conventionnelle, hiérarchisée, à la morale classique et autoritaire nous tentions de passer à une société égalitaire, partageuse et émancipée ; l’autogestion représentant l’avenir. Prenons nos désirs pour des réalités ! Étes-vous des consommateurs ou des participants ? Comment peut-on penser librement à l'ombre d'une chapelle ? Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi… étaient les slogans proférés à la Sorbonne comme à l’Opéra. 

Jacqueline Robinson
Comme l’a très bien dit Christine Gérard en parlant de l’Atelier de la danse de Jacqueline Robinson, la pensée était au rendez - vous et les idées fusaient. Dans cette parole libre et audacieuse sont nées les bases de la définition du métier de danseur, de chorégraphe et de professeur de danse … D’autres lieux sur Paris -privés et publics- comme la Schola Cantorum, l’école Janine Solane, les conservatoires de la ville de Paris, l’Opéra étaient dans la même démarche. Nous tous, gens de la danse, souhaitions quitter la rubrique  « autres » où figurait également le clergé, pour avoir un statut professionnel.  
La communication sur le Comité d’action de la danse montre bien comment les modes d'action étaient les mêmes dans la danse comme ailleurs :  tracts revendicatifs énonçant un besoin de liberté, de reconnaissance de savoirs faire, et réunions de réflexion journalières. Ces revendications seront aussi celles d’« Action danse » en 1974 et de « Danse perspective » en 1984 deux mouvements revendicatifs plus ou moins entendus. 
La lutte a continué, continue - t - elle aujourd'hui ? 

Classique - contemporain, ancien - moderne cette bataille a traversé toutes les époques avec autant de succès. En 1968 Maurice Béjart en fera les frais. Claude Sorin expose comment « Messe pour la temps présent » créé en 1967 à Avignon avec beaucoup d’audace et de provocations, reprise en 68 a finalement fait les frais de ce désir d’avenir proclamé à tout va… À 41 ans en pleine ascension, prônant la modernité Béjart se voit conspuer par ses pairs pour ses prises de position lors du festival d'Avignon.  Au coté de Vilar, protégé de Vilar mais artiste avant tout,  il ne saura pas se situer dans cette bagarre : « Messe pour le temps présent » reste cependant la révélation du moment et le symbole du changement en marche. Psyché rock est un tube, on voit chez les danseurs des allures de Jim Morisson et Led Zeppelin et l’atmosphère a le parfum des Pink Floyd.

Et puis en 68 ouvriers - étudiants - paysans ont dansé... leurs danses de couple, au son des électrophones et des yéyés pour les plus riches et des accordéons et autres instruments pour les autres. On voit les cours des usines transformées en bals- parquet ou en terrain de boule c’est selon. Comme dit un syndicaliste dans un film de Chris Marker « il faut bien s’occuper, pourquoi ne pas danser » Le bal à cette époque est encore la distraction principale des classes populaires et paysannes et le lieu idéal de la rencontre. Les corps à corps sont simples et pourtant codifiés, Christine Roquet a choisi d‘en faire un objet d ‘étude. Pourquoi pas. 
  
Bal organisé par les ouvriers de l'entreprise Fives en grève - 27 mai 1968  
http://www.ina.fr/video/RCF01017848 

Mais quitte à fictionner, Geisha Fontaine nous réjouit de ce dialogue inventé entre Marc’O metteur en scène - agitateur, pape du Centre américain boulevard Raspail et Jean Luc Goddard. « Les idoles », « Le gai savoir », le film de l’un face au film de l’autre…Que nous disent ces œuvres de l’esprit d‘une époque ? Tout, la dérision, le fatalisme, l’enthousiasme et surtout l’envie de liberté…  Ne pas perdre de vue son désir. Geisha est merveilleuse dans son intervention. Drôle, réaliste elle apporte au témoignage suffisamment de distance pour qu’il nous fasse réfléchir. 

Une soirée comme celle-ci dans son incertitude et la variabilité des points de vue fait l’effet d’une piqure de rappel…Mes espoirs et ma jeunesse et la certitude qu’il faut encore se battre.




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