EXPOSER/ PERFORMER L'ARCHIVE - Karin Waehner, une artiste migrante - 15 décembre CND, 16 décembre BNF


Six images - Karin Waehner

Sous l’intitulé « Exposer/ performer l’archive - Karin Waehner (1926 - 1999), une artiste migrante », 3 chercheurs Sylviane Pagès, Mélanie Papin, Guillaume Sintès présentaient leur travail de recherche entamé en 2015 au sein du Groupe de recherche : histoire contemporaine du champ chorégraphique en France / Musidanse, université Paris 8.

Karin Waehner - 1996
Que dit l’archive ? Comment, par les informations qu’elle donne et les interrogations qu’elle porte en elle, nous aide - t - elle à comprendre ou à dessiner les contours d’une histoire ? Ce questionnement énoncé, les 3 chercheurs se sont plongés dans le fond Karin Waehner, déposé à la BNF suite à son décès en février 1999, pour en extraire les éléments pouvant faire sens dans la compréhension d’une œuvre appartenant à une époque et référencée comme chorégraphique. Il ne s’agit pas pour eux de restituer ou de réécrire l’histoire de l’artiste et de son œuvre mais bien de questionner l’archive en tant que telle, c’est à dire sa constitution, sa forme et la diversité des éléments qui la compose, et bien sur sa capacité à parler …
Interviews audio et vidéo, cahiers de travail, vidéos de spectacle et partitions chorégraphiques, articles de presse, programmes, courriers etc.… Les traces sont nombreuses. Datées de 1944 pour les premières et de 1999 pour les dernières, elles recouvrent la presque totalité des 55 ans de carrière de Karin Waehner. Toutes témoignent d’un pan de l’histoire de la danse du 20ème siècle. Se croisent dans ces archives Mary Wigman, Gret Palucca, le mime Marceau, Étienne Decroux, Martha Graham, José Limon, Louis Horst, Laura Sheelen, F et D Dupuy, Jérôme Andrews et bien d‘autres dont les noms aujourd’hui figurent dans les livres d’histoire de la danse et sont parfois encore inconnus de bon nombre de jeunes danseurs-chorégraphes. Et pourtant il s’agit bien là d’une partie de l’histoire de l’art qu’ils pratiquent et des figures phares qui l’ont constituée.
La soirée du 15 décembre, organisée au CND, est ouverte par la voix de Karin Waehner qui nous indique que la soirée sera non-stop, avec de petites pauses c’est tout.  Les chercheurs - Sylviane Pagès, Mélanie Papin, Guillaume Sintès- respectant cette assertion, ont conçu une soirée d'images, d'interviews et de danse qui montre la force et la modernité de l'œuvre de la chorégraphe. On y entend avec plaisir des bribes de vies, des prises de position par rapport à la danse, les voyages… 
Le trio de Brecht
On y voit des photos et on assiste à la présentation de pièces majeures reconstruites à partir de partitions comme Le trio de femmes ou Le trio de Brecht créé en 1986 pour la biennale de la danse de Lyon qui rendait hommage à Mary Wigman à l’occasion de son 100e anniversaire ou le solo L’oiseau qui n’existe pas créé par Karin Waehner en 1963. À la fois pédagogique et artistique la soirée révèle en douceur une œuvre riche, en prise avec son temps, et met en évidence le combat livré pour faire admettre « la danse moderne » dont tous les précurseurs se revendiquent.  Pour ceux qui ont connu ou travaillé avec Karin Waehner cette soirée fait l’effet d’un bain de jouvence. Et chacun de se perdre avec plaisir dans le dédale de ses souvenirs. Par contre, le chercheur lui ne peut s’encombrer d’affectif et la distance nécessaire au travail de recherche qu’il doit observer en déroute certains. La confrontation de la mémoire vive à l’archive et de l’archive à la mémoire vive est un travail subtil car toute mémoire est fictionnelle…

L'appelée - Karin Waehner
 Moins grand public, la journée de colloque du 16 décembre à la BNF est construite à partir des communications des 3 chercheurs mais aussi du travail de Joséphine Fenger allemande vivant en Allemagne qui a étudié les correspondances entre Wigman et Waehner. 

Guillaume Sintès s’est penché sur les écrits, nombreux et finalement « bavards »… Les cahiers de travail, écrits, raturés et réécrits, un ouvrage « Outillage chorégraphique » en italien, en français et en chinois, des textes de conférences sur l’enseignement, l’expréssionisme, la danse évolutive etc. Cet ensemble traduit deux choses essentielles dans la vie de KW : le besoin de transmettre et sa force de travail accompagnée de sa capacité à se remettre en question. Pour qui ne connaît pas l’artiste, cette communication est non seulement riche mais efficace par les clés de lecture qu’elle donne de son œuvre et de la danse en général. On a là une approche explicite de l’utilité de l’archive dans la connaissance d’un art et de son apprentissage.

Le questionnement sur la nature du parcours artistique de KW est certainement plus difficile à cerner : d’Allemagne elle part pour l’Argentine (pays germanophile) avant de s’installer à Paris tout en gardant en mémoire les USA qu’elle connaît grâce aux universités d’été du Connecticut college qu’elle a fréquenté. Son esthétique et ses choix pédagogiques semblent s’être constitués par strates successives et reflètent les rencontres qu’elle a fait tout au long de sa vie. Entre le besoin d’immigrer, la recherche d’un ailleurs qui l’accueille et lui permette de développer son travail et le besoin de se construire en tant qu’artiste, les hypothèses face à ses déambulations artistiques sont nombreuses et restent malgré tout soumises à l’interprétation des uns et des autres. L’archive ne dit pas tout de ces moments où l’histoire du monde, l’histoire familiale, l’histoire artistique et la jeunesse s’entremêlent. Le recours à des témoins donnera sans doute un discours plus proche du réel que du supposé.  
 
L'oiseau qui n'existe pas - Karin Waehner
La parole d‘Aurélie Berland interprète de L’oiseau qui n’existe pas nous éclaire sur le rôle de l’archive dans la reconstruction d’une pièce chorégraphique. Si les pas, l’espace, les intentions sont donnés par la partition, si des photos et quelques extraits vidéo concourent à la reconstruction, de quel interprète parle – t- on ? Aurélie Berland n’ayant jamais travaillé la technique correspondant à l’écriture corporelle du solo dit « s’être cherchée » à travers le mouvement qui lui était soumis. 
La danse est avant tout une expérience physique à vivre, quel est le chemin pour accéder à la vérité physique d’une œuvre créée par et pour l’autre … La question du vivant est bien là !

Peu d‘archives de danseurs sont déposées à la BNF. Dommage, mais espérons que l’habitude se prenne car même si la danse relève traditionnellement d’une transmission de personne à personne, la faire vivre dans le temps est essentiel. L’élargissement de la connaissance et l’ouverture sur une époque que de tels documents offrent sont inégalables. Tout danseur - interprète en devenir ne peut qu’être enrichi par cet apport même s’il sera sans doute troublé par les questions que l’archive soulève.   



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